mardi 31 janvier 2017

Le Lac Disney


Je ne me souviens jamais sans plaisir de ces heures spéciales, à la veille d’une journée dans le parc Disneyland, qui bénéficiaient déjà du rayonnement de l’aube de la journée prochaine sans souffrir encore de son crépuscule. C’était alors que, l’installation faite et les formalités remplies, nous ambitionnions d’excursionner au Disney Village et de perdre quelques heures d’ici au dîner du soir.
Vêtus chaudement, comme l’exigeait la saison, nous voyions les portes s’ouvrir devant nous, et c’était comme une deuxième arrivée, après celle à l’hôtel tout à l’heure et avant celle de demain cependant, quand nous franchirions les guichets du parc, que de sortir de l’hôtel à la façon de ces voyageurs qui n’ont l’impression de pénétrer sur le sol d’un pays nouveau que lorsqu’ils sortent de l’aéroport.
Aussitôt l’hôtel quitté, nous étions jetés à contre courant d’un flux de visiteurs qui s’acheminaient vers le parc, ralentis par leurs poussettes mais allégés cependant des pesants paquets qu’ils venaient de déposer à leur hôtel. C’était une de ces heures creuses mais aimables, entre la fin de la parade de l’après-midi et l’approche du spectacle du soir, heure où les piscines des hôtels trouvent une justification supplémentaire à celle d’étoffer les brochures.
Nous traversions les Fantasia Gardens en prenant les détours des ponts de briques sous lesquels coulaient de menues cascades, et nous aimions à nous arrêter sous un de ces kiosques semblables à celui de Town Square. Là, sans pousser jusqu’à m’asseoir sur un banc, je me souvenais de ces early concepts art du Disneyland Hôtel devant la façade duquel les jardins éclairés par des guirlandes de lanternes accueillaient quelques ombres, dont le dessin quoique vague savait rendre la festivité et donnaient à ces jardins l’aspect joyeux de ces grands hôtels de bord de mer dont les parterres servaient aux mêmes réjouissances que les jardins sculptés des palais d’autrefois.
Sous nos pieds, les pavés gravés conservaient le souvenir de visites innombrables et semblaient autant d’ex voto. Comme nous n’en avions pas à retrouver dans ce nombre, nous transposions ce jeu de mémoire en l’élevant sur la façade rose de l’hôtel et en essayant de reconnaître les fenêtres des chambres où nous nous étions déjà tenus tandis qu’un photographe dépêché là où nous nous tenions en ce moment se chargeait d’immortaliser l’instant. Cependant le flot des visiteurs disparaissait sous la façade tandis que la tête de Mickey florale en retenait d’autres et leur déguisait en occasion de faire une belle photo leur désir coupable de s’arrêter un instant. Nous admirions la grande horloge sans songer même à déchiffrer l’heure que Mickey désignait de ses bras, conscients qu’à nos poignets une montre semblable nous la dirait tout aussi bien, nous rappelant seulement la fantaisie que nous avions eue un jour de mettre celles-ci à l’heure celle-là. Je louais les imagineers qui, de ce qui ne devait être qu’une façade, avaient fait un hôtel si somptueux, et dans le même temps je me rappelais certains propos que j’avais surpris chez un visiteur disant que, lors de sa première visite, il avait cru que l’hôtel à l’entrée du parc n’était qu’un décor. Et certes le charme du Disneyland Hôtel doit beaucoup à ce jeu de façade, d’étage dont on se demande s’il est vrai ou faux, réel ou irréel, rejoignant en cela Main Street. Je pensais que, même pour beaucoup de ceux qui savent qu’il est pourtant bien un hôtel, le Disneyland conserve toujours cet aspect bidimensionnel, en ce qu’ils ne songent pas même à en pousser la porte, du reste bien peu apparente.
Laissant là ces réflexions, nos jambes nous portaient bientôt au delà de l’esplanade, aux portes du Disney Village. Après un regard furtif vers la Tour de la Terreur et la Earfell Tower, nous laissions derrière nous les Walt Disney Studios, un parc qui pour n’être que plus apparent n’en est que moins désirable, et dont le grand mérite est de ne pas laisser trop de regret à celui qui le double. Plus avant sur l’esplanade, la gare de Chessy d’où provenait un roulis continu de valises. Les miniatures que quelques vendeurs à la sauvette venaient essayer de vendre là nous rappelaient la proximité de la Capitale. A l’entrée du village, tandis qu’à gauche le flot des visiteurs venait se briser sur le barrage de rétention d’un contrôle de sécurité, à droite le cinéma Gaumont érigeait une affiche d’un film étranger. Le trajet nous ayant quelque peu refroidis, nous nous engouffrions dans l’enfilade de boutiques, presque sûr de n’y rien acheter, à peu près indifférents à leurs contenus. Pourtant bientôt la variété des produits trouvée là retenait notre attention, et quoique l’on puisse dire de la redondance de ces commerces vis-à-vis de ceux des parcs, ils avaient pour nous le charme de la nouveauté. En effet, dans les parcs, tout occupés de voir et de faire, nous ne songions qu’à la boutique d’art où nous accomplirions, à la fin du séjour, l’actuel ritualisé d’acquérir un objet de collection. Emporium et ses semblables étaient des lieux depuis longtemps délaissés. Aussi lorsque nous trouvions cette offre, nouvelle pour nous, nous ne pouvions nous empêcher d’y être attentif ; de remarquer quelque objet charmant dans sa simplicité, de s’étonner qu’il ne fut pas, lui aussi, de collection, puis de le reposer pour cela.
En sortant des boutiques, nous rencontrions cet écran géant que les regards de quelques hommes seuls attablés là nous forçait de regarder aussi, puis nous regardions ces hommes en nous demandant ce qui pouvait bien ainsi retenir leur attention.
La prochaine station de notre chemin était la Disney Gallery dont les vitrines extérieures n’exposant que les moins précieux de ses objets ne rendait pas justice aux vitrines intérieures. Nous nous attardions dans cette boutique qui, puisque que préférant celles du parc nous n’y achetions jamais grand chose, réalisait de façon plus aboutie encore l’idée de vitrine. « Prière de ne pas toucher ». Nous montions ensuite la pente douce environnée de tableaux vers le palier où des sujets de porcelaine blanche, dont les contours dorés se substituaient aux traits noirs des dessins animés, semblaient les habitants de la maquette du Château de la Belle au Bois dormant. Dans un coin, un écran diffusait une vidéo du processus de création des figurines de la Walt Disney Classic Collection comme pour nous convaincre de leur unique craftmanship. Nous rendions hommage à ce vestige en nous demandant combien de temps encore son support cassette survivrait à sa diffusion en boucle.
En sortant nous nous dirigions lentement vers le lac. Bientôt, sur notre droite quelques enfants consentaient à se laisser effrayer par le crocodile du Rainforest Café avant que leurs parents ne les rappellent. De là, nous envisagions de faire le tour des hôtels du Lac Disney et, un coup d’œil sur nos montres nous ayant rassuré sur la possibilité de ce projet, nous commencions par le plus proche, le New York. Derrière les vitres du Café Mickey, quelques familles attardées mangeaient en se pressant. Sur le Lac Disney, Panoramagique s’élevait courageusement dans les airs pour offrir une vue privilégiée à une poignée de passagers. Sur la patinoire éphémère du New York, deux enfants seuls avaient préféré ce divertissement extérieur à d’autres parmi lesquels les plaisirs plus confortables peut-être de la piscine. Le plus petit, plus aguerri aidait le plus grand, qui exagérait sans doute sa maladresse, un peu comme cette scène de Bambi.
Devant les façades de buildings en carton pâte, je comparais mes impressions à celles que me donnait la façade du Disneyland Hôtel et je remarquais que si celle-ci achevait en quelque sorte un plus haut degré d’architecture bidimensionnelle, l’effet n’était pas le même en ce qu’on s’étonnait qu’il y eût des chambres derrières ces vitres-là, et qu’on ne s’en réjouissait pas. Je n’ai en vérité jamais bien pu comprendre qu’à valeur presque égale quiconque puisse préférer le New York au Disneyland, et j’en suis venu à considérer que le premier ne devait être qu’une antichambre du second ; un de ces logements dont le voyageur arrivé prématurément s’accommode dans l’attente d’une meilleure chambre qui doit se libérer la nuit prochaine.
Cependant je modérais ces réflexions car le New York me semblait spécialement beau en hiver, de même façon que la neige couvrant la Big Apple paraissait, par l’irruption d’un phénomène naturel dans un environnement de verre et d’acier, réchauffer son urbanisme froid par le médium des fêtes de fin d’année qu’on y associe. La patinoire désertée maintenant réfléchissait la façade de l’hôtel. Nous entrions sous l’arcade triangulaire des portes, puis nous attardions un peu devant la grande vitrine des produits de collections qui, détachée de la boutique, semble un meuble de décoration à part entière. L’on pouvait parfois apercevoir, passant furtivement dans un couloir lointain les ombres blanches de peignoirs revenants de la piscine. Elles me faisaient souvenir de cette piscine ; de ses volumes généreux et de ses formes rectilignes qu’adoucissait sa grande lucarne ronde.
L’on se remettait en marche vers la prochaine station. Le New York était un hôtel essentiellement adulte ; un de ces hôtels qui ne sont que les succursales de leurs centres de convention et le gîte des séminaristes ; le Séquoia Lodge, lui, semblait un hôtel d’hibernation, de sommeil plutôt que de vie avec sa structure qu’on se figurait très bien résister à une masse de neiges considérables jusqu’à la venue des sauveteurs. Il y avait une odeur de sapin dans l’air. Les fenêtres basses évoquaient un peu les meurtrières d’un pavillon de chasse. Plus tard je devrais apprendre à apprécier cet hôtel en le comparant au Grand Californian. Dans le hall il y avait une majestueuse coiffe indienne. Peut-être cet objet me faisait-il penser au thème indien du Cheyenne que j’affectais alors de mépriser. A l’étage un bon feu de bois brûlait dans la cheminée. Un groupe fraîchement débarqué s’impatientait à la réception.
Je remarquais la facilité qu’il y avait à pénétrer dans un hôtel Disney sans en être, de même qu’il est facile dans les parcs de se promener dans les boutiques sans y rien acheter, et à moindre raison dans certains restaurants sans s’y attabler. Malgré tout ce qu’on peut dire du mercantilisme de Disneyland, j’ignore si quelqu’un a déjà remarqué à quel point il est facile de se promener dans ces environnements commerciaux sans être client, seulement en par la potentialité de l’être. L’environnement mercantile totalisant à Disneyland anéantit en quelque sorte ce consumérisme même ; tout ceux qui font fonction de vendre sont presque insoucieux de vendre effectivement puisque dans un environnement de caisses communicantes. Je ne sentais alors tout cela que vaguement, mais je devais plus tard trouver dans la visite des parcs américains le renforcement de cette hypothèse.
Le Newport Bay Club était la dernière étape de notre tour. Le vent ridant la surface calme des eaux du Lac Disney berçait une bouée ; le phare du Newport semblait une veilleuse dans la nuit tombante destinée à nous guider à bon port. Je reconnaissais sur la façade blanc crème certain balcon élevé depuis lequel j’avais joui d’une belle vue que redoublait la vision inattendue du Château, dont pourtant sont plus nombreuses à jouir les chambres de hôtels du lac Disney que celles du Disneyland Hôtel qui, par sa situation aux portes du parc, laisse espérer cette vue, dont ne jouissent finalement que quelques chambres du Castle Club.
J’étais souvent frappé lors de cette promenade par le souvenir – c’est-à-dire par celui qu’on m’avait fait – de ma mère me promenant autrefois en poussette autour du Lac Disney. Etonnamment cette image se présentait toujours à mes yeux lorsque je me dirigeais vers le Newport, et peut-être en effet trouvait-il quelque motivation subtile dans le thème de cet hôtel ; c’est que le thème marin s’associe mieux que tout autre à l’enfance. Ainsi le bleu et le blanc ont longtemps constitué la vogue décorative des chambres de garçon, et jusqu’au début du siècle dernier l’habit marin était le costume commode des jeunes distingués.
Un concierge martelait le plancher du hall comme un amiral sur le pont de son navire.  A la réception un enfant jouant à monter sur un passet prêtait une attention distraite à l’échange qui se réalisait là ; il avait l’air de ces gravures qui montrent Louis XIV enfant présidant son conseil d’un air grave. Dans la boutique, les peluches moelleuses répondaient aux carnets d’autographes que leurs couvertures matelassées rendaient semblables aux grimoires d’antan. Cette boutique avait pour moi le charme d’une époque où toutes m’étaient indifférentes.

Je me serais bien attardé plus longtemps au Newport, mais déjà il fallait revenir à l’hôtel ; passer devant la zone déshéritée du centre de convention, retraverser le Disney Village au pas de course parallèle cette fois à celui du flux des visiteurs.
C’est alors seulement que je commençais de songer à la soirée qui nous attendait au restaurant Inventions ; au choix de la cravate fantaisiste –  Donald, Gontran ou l’oncle Picsou – dont le stock s’employait uniquement à cette occasion, à qui je demanderai de la nouer, et au journal télévisé qui égrenant ses nouvelles indifférentes dans la chambre rosâtre en augmenterait d’autant plus l’irréalité.


Notes sur Disney World


 Tourniquets

La révolution des magic bands et la suppression consécutive des tourniquets à l’entrée du parc ont beaucoup diminué le charme du moment où l’on entre dans un parc Disney. Les guichets avaient ce mérite d’opposer une barrière poreuse au monde réel, de ménager un seuil de poésie, une condition du sacré ; ce basculement d’un monde à un autre que matérialisait de façon sonore le doux son du cliquetis.

Attente

Déjeuné chez Tony’s, sur Town Square. Une table libre à l’extérieur (la plupart des américains préfèrent l’intérieur réfrigéré). La demandons. Ah, pour celle-là, il y a un délai d’attente de quinze minutes nous informe la cast-member, bien qu’elle soit prête et que nous ayons réservé. Nous acceptons de patienter avec ce sentiment qu’on ne fait que mettre notre désir  à l’épreuve, ce qui semble en effet le cas puisque cinq minutes plus tard on vient nous chercher.
Ce genre de situation détestable n’arriverait pas, je crois, en France. Du moins n’en ai-je jamais fait l’expérience. J’ai dit que Disneyland pouvait être un intéressant objet d’analyse en ce qu’il était un lieu où les lois du tourisme s’appliquent de façon extrême, j’ajoute que les parcs américains sont les leaders du genre.
Dans le même goût, vous pouvez réserver au restaurant Be our guest, mais quinze dollars vous sont crédités pour toute annulation.

Just joking

         Les opérateurs de Jungle Cruise ont un merveilleux sens humoristique. Entre un alligator et un hippopotame, ils trouvent le temps de vous lancer « Do you why Peter Pan can’t stop flying ? ». Regard ahuri des assis. Réponse du bonhomme jovial : « ‘Cause he can never, never land. »

Caroussel of Progress

         Le caractère vieillot du Carrousel of Progress, en contradiction avec son projet, le ferait aisément passer pour une pièce de musée, chose étonnante, cas unique peut-être dans l’économie des parcs Disney qui va davantage au renouvellement qu’à la muséification. Cela est plus vrai encore pour les parcs américains qui, disposant de plus de capitaux, sont plus novateurs. Mais peut-être est-ce ce kitsch même qui fait son intérêt où le goût que les américains en ont. L’on imagine très bien par exemple une famille du fond de l’Indiana venue dans les années quatre-vingt et désireuse de refaire l’attraction qui leur rappelle le temps où l’oncle John vivait encore. Et puis les américains sont plus conservateurs là où le public européens, du moins les français – je ne parle pas ici des fans Disney, puissantes instances réactionnaire – sont plus exigeants. C’est d’ailleurs ce qui fait l’attrait de certains parcs allemands en mutation perpétuelle).
Un des intérêts de cette attraction est d’offrir une perspective contrastive entre le présent et l’avenir tel qu’il était perçu dans les années soixante, mais je ne suis pas sûr que tous les visiteurs puissent l’apprécier avec ce recul. J’ai été pris d’un fou rire lorsque la salle a poursuivi sa rotation au son de :

There’s a great, big, beautiful tomorrow !
Shining at the end of every day,
There’s a great, big, beautiful tomorrow !
And tomorrow is just a dream away.

à la pensée que ce pouvait être une attraction ironique, ridiculisant l’idée même du Progrès, qui en Amérique n’a jamais cessé d’être une valeur centrale, tandis qu’en Europe, par l’exemple des deux guerres mondiales, son idéal a pour le moins subit une sérieuse remise en question.

The second star to the right

La chanson « The second star to the right » entendue au feu d’artifice Wishes me provoque toujours un certain frisson. Pourquoi ? Je crois que c’est parce que cette chanson joue sur la corde raide entre réel et réalité fantasmée sur laquelle d’idée même de Disneyland se situe. Les parcs Disney sont des Pays Imaginaires dont les chemins peuvent cependant être facilement trouvés. 

Twinkle, twinkle little star
So I'll know where you are
Gleaming in the skies above
Lead us to the land I dream of

And when our journey is through
Each time we say "Goodnight"
We'll thank the little star that shines
The second from the right...

« The second star to the right », pour un disneyphile, c’est la sortie du périphérique, direction Chessy.


Post Disneyland

         Dans le bus tardif qui nous ramène à l’hôtel, visiteurs extrêmement déprimés. Le conducteur a éteint les néons et la musique de fond ne marche pas. Le bus avance au pas dans le silence et la masse des voitures. Sur les vitres, un reflet d’un lointain feu d’artifice. Est-ce Epcot de ce côté-là ? L’on renonce à se le demander. Est-ce fatigue ? Certes, les enfants dorment appuyé sur un sein ou un bourrelet parental, mais les adultes. La lassitude, la nostalgie, déjà ?
Peut-être la fatigue du consommateur.

American adventures

America !
Spread your golden wings,
Fly the freedom wind,
Cross the skyyyy !

De tous les pavillons d’Epcot, seul l’américain arrive à vous donner le désir d’émigrer dans le pays qu’il représente. Je suppose que pour les visiteurs locaux, cela doit être très réconfortant.

Colonialisme

Visité l’hôtel Grand Floridian. Sa beauté coloniale. Sa plage de sable fin donnant sur un lac où des panneaux défendent de se baigner. Cela doit grouiller de crocodiles en tous genres. Image très postmoderne depuis cette plage : on aperçoit le château et le Magic Kingdom, leurs promesses de bonheur, mais on en est séparé par cette petite mer sale, polluée et dangereuse, pourtant au pied de l’hôtel le plus luxueux de l’endroit. Du personnel d’entretien nombreux circule dans les couloirs. Ce sont pour la plupart – sauf à la réception – des  noirs portant bas blancs et cravate rose. C’est comme au Disneyland Hotel, en somme, mais à Paris tout cela semble davantage une recréation qu’ici, dans cet état sudiste : on sent plutôt la perpétuation.

Consommer malgré tout

Dans une boutique, un homme est étendu par terre, des CM s’affairent autour de lui. Les paramedics arrivent et ferment l’area.
Quelques minutes plus tôt, des visiteurs asiatiques étendaient le bras pour prendre une peluche dans les rayons au dessus de l’allongé, malgré lui, puis l’enjambèrent sans façon pour gagner la caisse. Quand ils la virent fermées, leur désespoir fut visible.
Jusqu’où la consommation va.

Plans américains

Lorsqu’ils établissent leurs plans des parcs, les Américains comptent les boutiques et les restaurants pour des attractions.
L’on s’étonne qu’ils n’aient pas encore ajouté les toilettes à la liste. Peut-être le feront-ils quelque jour.

Déguisements

Tout le monde est déguisé ici. Les chapeaux connaissent une grande popularité dans les boutiques. C’est à qui aura le plus ridicule. En France, il n’y a guère que le 31 octobre pour voir cela, mais ici c'est toute l'année.

Oreilles de Mickey

Les oreilles de Mickey sont beaucoup plus populaires ici qu’en France où ce produit n’a jamais su s’imposer, malgré des tentatives. Il est vrai que les américains, outre leur sens moins aigu du ridicule, ont été habitué à ce couvre chef, d’abord par le programme télévisé du Mickey Mouse Club. C’était un élément de l’uniforme des mouseketeers, ces jeunesses disneyennes vigoureuses et disciplinées qui avaient même leur hymne. L’on sait que ce symbole a été récupéré dans un désir de subversion par l’art contemporain et les milieux de la mode. C’est que les oreilles de Mickey sont devenues un symbole identitaire, comme la kippa juive. Plus encore que le goût pour une marque, elles en sont venues à signifier une reconnaissance de l’individu dans les valeurs nationales. Le port des oreilles de Mickey échappe au ridicule en ce qu’il est une marque visible de patriotisme (on les décline d’ailleurs aux couleurs de l’american flag). Les porter sont une dignité, comme des emblèmes.

PUSH

         Les parcs Disney sont le seul endroit au monde où l’on puisse espérer de rencontrer une poubelle. Elle a surgit comme nous nous promenions dans Hollywood Studios. Push – c’est son nom – fait des apparitions à heures dites pour le plus grand ravissement des visiteurs, un peu comme Blanche Neige. Parfois elle les poursuit sur une assez longue distance comme si elle voulait les avaler. D’autres fois, elle reste immobile et attend qu’un visiteur lui pousse un déchet – car c’est en plus une vraie poubelle –, elle le remercie alors et engage négligemment la conversation, lui demandant dans quel état il habite et s’il y a beaucoup de poubelles là-bas. Push est une vraie star ici. Il paraît qu’un technicien la suit à bonne distance avec la manette de commande. Je suppose qu’il peut aussi intervenir dans le cas où elle serait agressée.
         Ce que Push révèle, c’est la sacralisation de la propreté dans les parcs Disney. Des cast-members enthousiastes l’arpentent en permanence avec des pinces préhensiles colorées qui sembleraient plus faites pour vous pincer la joue que pour ramasser des ordures. Tout est admirablement propre et net. L’on voit ne voit aucun fumeur à la différence de Paris : les gros américains doivent croire que la cigarette nuirait à leur santé. Mieux : l’on peut acheter dans les boutiques des salières à l’effigie des poubelles des différents lands, car chacune est personnalisée et intégrée dans sa zone. J’ai même vu des ornements pour les sapins de Noël, c’est dire si l’on a ici le culte du déchet aseptisé.

What happens at Disney…

Dans le bus qui nous ramène à l’hôtel, je remarque un groupe de jeunes filles obèses (elles le sont à peu près toutes ici, l’AFP a récemment annoncé à titre de nouvelle légère qu’il avait fallu renforcer les barques de Pirates of the Carribean à cause de la masse corporelle croissante des américains) portant le même T-Shirt vert moulant avec écrit dessus : « What happens at Disney stays at Disney ». C’est sans doute une création personnelle, peut-être dans le genre de ces vêtements personnalisables à bon marché sur lesquels on peut faire imprimer un motif choisi. Du moins il me semble que ce genre de produit ne pourrait pas être vendu dans les boutiques du parc, ou le pourrait-il ? Evidemment, ce qu’il a de terrible, c’est ce que cette phrase connote, par référence à l’expression devenue banale : « What happens at Las Vegas stays at Las Vegas », qui dans ce cas-là suggère un week-end de débauches pré-maritales partagées entre casinos et bars suspects. Le remplacement de « Vegas » par « Disney » ne porte pas le même sens mais partage avec la situation de base un même sentiment de honte et de dissimulation. L’embarrassant  est l’objet de cette honte, quel est-il pour Disney ? Si « what happens at Vegas » est réprouvé d’un point de vue moral, « what happens at Disney » le serait-il d’un point de vue culturel ou intellectuel ?

Ignorant des prétentions que les jeunes filles obèses pouvaient avoir en ce domaine, j’aurais peut-être dû leur demander ce qu’elles entendaient par là, mais le bus les déposa naturellement au All Star Resort.