La révolution des magic bands et la suppression consécutive des tourniquets à
l’entrée du parc ont beaucoup diminué
le charme du moment où l’on entre dans un parc Disney. Les guichets avaient ce
mérite d’opposer une barrière poreuse au monde réel, de ménager un seuil de poésie, une condition du
sacré ; ce basculement d’un monde à un autre que matérialisait de façon
sonore le doux son du cliquetis.
Attente
Déjeuné chez Tony’s, sur Town Square. Une
table libre à l’extérieur (la plupart des américains préfèrent l’intérieur
réfrigéré). La demandons. Ah, pour celle-là, il y a un délai d’attente de
quinze minutes nous informe la cast-member, bien qu’elle soit prête et que nous
ayons réservé. Nous acceptons de patienter avec ce sentiment qu’on ne fait que mettre
notre désir à l’épreuve, ce qui semble
en effet le cas puisque cinq minutes plus tard on vient nous chercher.
Ce genre de situation détestable
n’arriverait pas, je crois, en France. Du moins n’en ai-je jamais fait
l’expérience. J’ai dit que Disneyland pouvait être un intéressant objet
d’analyse en ce qu’il était un lieu où les lois du tourisme s’appliquent de
façon extrême, j’ajoute que les parcs américains sont les leaders du genre.
Dans le même goût, vous pouvez réserver
au restaurant Be our guest, mais
quinze dollars vous sont crédités pour toute annulation.
Just joking
Les opérateurs
de Jungle Cruise ont un merveilleux
sens humoristique. Entre un alligator et un hippopotame, ils trouvent le temps
de vous lancer « Do you why Peter Pan can’t stop flying ? ».
Regard ahuri des assis. Réponse du bonhomme jovial : « ‘Cause he can
never, never land. »
Caroussel of Progress
Le caractère
vieillot du Carrousel of Progress, en
contradiction avec son projet, le ferait aisément passer pour une pièce de
musée, chose étonnante, cas unique peut-être dans l’économie des parcs Disney qui
va davantage au renouvellement qu’à la muséification. Cela est plus vrai encore
pour les parcs américains qui, disposant de plus de capitaux, sont plus
novateurs. Mais peut-être est-ce ce kitsch même qui fait son intérêt où le goût
que les américains en ont. L’on imagine très bien par exemple une famille du
fond de l’Indiana venue dans les années quatre-vingt et désireuse de refaire
l’attraction qui leur rappelle le temps où l’oncle John vivait encore. Et puis
les américains sont plus conservateurs là où le public européens, du moins les
français – je ne parle pas ici des fans
Disney, puissantes instances réactionnaire – sont plus exigeants. C’est
d’ailleurs ce qui fait l’attrait de certains parcs allemands en mutation
perpétuelle).
Un des intérêts de cette attraction est
d’offrir une perspective contrastive entre le présent et l’avenir tel qu’il
était perçu dans les années soixante, mais je ne suis pas sûr que tous les
visiteurs puissent l’apprécier avec ce recul. J’ai été pris d’un fou rire
lorsque la salle a poursuivi sa rotation au son de :
There’s
a great, big, beautiful tomorrow !
Shining
at the end of every day,
There’s
a great, big, beautiful tomorrow !
And
tomorrow is just a dream away.
à la pensée que ce pouvait être une
attraction ironique, ridiculisant l’idée même du Progrès, qui en Amérique n’a
jamais cessé d’être une valeur centrale, tandis qu’en Europe, par l’exemple des
deux guerres mondiales, son idéal a pour le moins subit une sérieuse remise en
question.
The second star
to the right
La chanson « The second star to
the right » entendue au feu d’artifice Wishes
me provoque toujours un certain frisson. Pourquoi ? Je crois que c’est parce
que cette chanson joue sur la corde raide entre réel et réalité fantasmée sur
laquelle d’idée même de Disneyland se situe. Les parcs Disney sont des Pays
Imaginaires dont les chemins peuvent cependant être facilement trouvés.
Twinkle,
twinkle little star
So
I'll know where you are
Gleaming
in the skies above
Lead
us to the land I dream of
And
when our journey is through
Each
time we say "Goodnight"
We'll
thank the little star that shines
The
second from the right...
« The second star to the
right », pour un disneyphile, c’est la sortie du périphérique, direction
Chessy.
Post Disneyland
Dans le bus tardif
qui nous ramène à l’hôtel, visiteurs extrêmement déprimés. Le conducteur a
éteint les néons et la musique de fond ne marche pas. Le bus avance au pas dans
le silence et la masse des voitures. Sur les vitres, un reflet d’un lointain
feu d’artifice. Est-ce Epcot de ce côté-là ? L’on renonce à se le
demander. Est-ce fatigue ? Certes, les enfants dorment appuyé sur un sein
ou un bourrelet parental, mais les adultes. La lassitude, la nostalgie,
déjà ?
Peut-être la fatigue du consommateur.
American
adventures
America
!
Spread
your golden wings,
Fly
the freedom wind,
Cross
the skyyyy !
De tous les pavillons d’Epcot, seul
l’américain arrive à vous donner le désir d’émigrer dans le pays qu’il
représente. Je suppose que pour les visiteurs locaux, cela doit être très réconfortant.
Colonialisme
Visité l’hôtel Grand Floridian. Sa beauté coloniale. Sa
plage de sable fin donnant sur un lac où des panneaux défendent de se baigner.
Cela doit grouiller de crocodiles en tous genres. Image très postmoderne depuis
cette plage : on aperçoit le château et le Magic Kingdom, leurs promesses
de bonheur, mais on en est séparé par cette petite mer sale, polluée et
dangereuse, pourtant au pied de l’hôtel le plus luxueux de l’endroit. Du
personnel d’entretien nombreux circule dans les couloirs. Ce sont pour la
plupart – sauf à la réception – des
noirs portant bas blancs et cravate rose. C’est comme au Disneyland
Hotel, en somme, mais à Paris tout cela semble davantage une recréation qu’ici,
dans cet état sudiste : on sent plutôt la perpétuation.
Consommer
malgré tout
Dans une boutique, un homme est étendu
par terre, des CM s’affairent autour de lui. Les paramedics arrivent et ferment l’area.
Quelques minutes plus tôt, des
visiteurs asiatiques étendaient le bras pour prendre une peluche dans les
rayons au dessus de l’allongé, malgré lui, puis l’enjambèrent sans façon pour
gagner la caisse. Quand ils la virent fermées, leur désespoir fut visible.
Jusqu’où la consommation va.
Plans
américains
Lorsqu’ils établissent leurs plans des
parcs, les Américains comptent les boutiques et les restaurants pour des
attractions.
L’on s’étonne qu’ils n’aient pas encore
ajouté les toilettes à la liste. Peut-être le feront-ils quelque jour.
Déguisements
Tout le monde est déguisé ici. Les
chapeaux connaissent une grande popularité dans les boutiques. C’est à qui aura
le plus ridicule. En France, il n’y a guère que le 31 octobre pour voir cela,
mais ici c'est toute l'année.
Oreilles de Mickey
Les
oreilles de Mickey sont beaucoup plus populaires ici qu’en France où ce produit
n’a jamais su s’imposer, malgré des tentatives. Il est vrai que les américains,
outre leur sens moins aigu du ridicule, ont été habitué à ce couvre chef,
d’abord par le programme télévisé du Mickey Mouse Club. C’était un élément de
l’uniforme des mouseketeers, ces
jeunesses disneyennes vigoureuses et disciplinées qui avaient même leur hymne.
L’on sait que ce symbole a été récupéré dans un désir de subversion par l’art
contemporain et les milieux de la mode. C’est que les oreilles de Mickey sont
devenues un symbole identitaire, comme la kippa juive. Plus encore que le goût
pour une marque, elles en sont venues à signifier une reconnaissance de
l’individu dans les valeurs nationales. Le port des oreilles de Mickey échappe
au ridicule en ce qu’il est une marque visible de patriotisme (on les
décline d’ailleurs aux couleurs de l’american
flag). Les porter sont une dignité, comme des emblèmes.
PUSH
Les parcs Disney sont le seul endroit
au monde où l’on puisse espérer de rencontrer une poubelle. Elle a surgit comme
nous nous promenions dans Hollywood Studios. Push – c’est son nom – fait des apparitions à heures dites pour le
plus grand ravissement des visiteurs, un peu comme Blanche Neige. Parfois elle
les poursuit sur une assez longue distance comme si elle voulait les avaler.
D’autres fois, elle reste immobile et attend qu’un visiteur lui pousse un
déchet – car c’est en plus une vraie
poubelle –, elle le remercie alors et engage négligemment la conversation, lui
demandant dans quel état il habite et s’il y a beaucoup de poubelles là-bas.
Push est une vraie star ici. Il paraît qu’un technicien la suit à bonne
distance avec la manette de commande. Je suppose qu’il peut aussi intervenir
dans le cas où elle serait agressée.
Ce que Push révèle, c’est la
sacralisation de la propreté dans les parcs Disney. Des cast-members
enthousiastes l’arpentent en permanence avec des pinces préhensiles colorées
qui sembleraient plus faites pour vous pincer la joue que pour ramasser des
ordures. Tout est admirablement propre et net. L’on voit ne voit aucun fumeur à
la différence de Paris : les gros américains doivent croire que la
cigarette nuirait à leur santé. Mieux : l’on peut acheter dans les
boutiques des salières à l’effigie des poubelles des différents lands, car
chacune est personnalisée et intégrée dans sa zone. J’ai même vu des ornements
pour les sapins de Noël, c’est dire si l’on a ici le culte du déchet aseptisé.
What happens at
Disney…
Dans le bus qui nous ramène à l’hôtel,
je remarque un groupe de jeunes filles obèses (elles le sont à peu près toutes
ici, l’AFP a récemment annoncé à titre de nouvelle légère qu’il avait fallu
renforcer les barques de Pirates of the Carribean à cause de la masse
corporelle croissante des américains) portant le même T-Shirt vert moulant avec
écrit dessus : « What happens at Disney stays at Disney ». C’est
sans doute une création personnelle, peut-être dans le genre de ces vêtements
personnalisables à bon marché sur lesquels on peut faire imprimer un motif
choisi. Du moins il me semble que ce genre de produit ne pourrait pas être
vendu dans les boutiques du parc, ou le pourrait-il ? Evidemment, ce qu’il
a de terrible, c’est ce que cette phrase connote, par référence à l’expression
devenue banale : « What happens at Las Vegas stays at Las
Vegas », qui dans ce cas-là suggère un week-end de débauches pré-maritales
partagées entre casinos et bars suspects. Le remplacement de
« Vegas » par « Disney » ne porte pas le même sens mais
partage avec la situation de base un même sentiment de honte et de
dissimulation. L’embarrassant est
l’objet de cette honte, quel est-il pour Disney ? Si « what happens
at Vegas » est réprouvé d’un point de vue moral, « what happens at Disney »
le serait-il d’un point de vue culturel ou intellectuel ?
Ignorant des prétentions que les jeunes
filles obèses pouvaient avoir en ce domaine, j’aurais peut-être dû leur
demander ce qu’elles entendaient par là, mais le bus les déposa naturellement au
All Star Resort.
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