mardi 31 janvier 2017

Notes sur Disney World


 Tourniquets

La révolution des magic bands et la suppression consécutive des tourniquets à l’entrée du parc ont beaucoup diminué le charme du moment où l’on entre dans un parc Disney. Les guichets avaient ce mérite d’opposer une barrière poreuse au monde réel, de ménager un seuil de poésie, une condition du sacré ; ce basculement d’un monde à un autre que matérialisait de façon sonore le doux son du cliquetis.

Attente

Déjeuné chez Tony’s, sur Town Square. Une table libre à l’extérieur (la plupart des américains préfèrent l’intérieur réfrigéré). La demandons. Ah, pour celle-là, il y a un délai d’attente de quinze minutes nous informe la cast-member, bien qu’elle soit prête et que nous ayons réservé. Nous acceptons de patienter avec ce sentiment qu’on ne fait que mettre notre désir  à l’épreuve, ce qui semble en effet le cas puisque cinq minutes plus tard on vient nous chercher.
Ce genre de situation détestable n’arriverait pas, je crois, en France. Du moins n’en ai-je jamais fait l’expérience. J’ai dit que Disneyland pouvait être un intéressant objet d’analyse en ce qu’il était un lieu où les lois du tourisme s’appliquent de façon extrême, j’ajoute que les parcs américains sont les leaders du genre.
Dans le même goût, vous pouvez réserver au restaurant Be our guest, mais quinze dollars vous sont crédités pour toute annulation.

Just joking

         Les opérateurs de Jungle Cruise ont un merveilleux sens humoristique. Entre un alligator et un hippopotame, ils trouvent le temps de vous lancer « Do you why Peter Pan can’t stop flying ? ». Regard ahuri des assis. Réponse du bonhomme jovial : « ‘Cause he can never, never land. »

Caroussel of Progress

         Le caractère vieillot du Carrousel of Progress, en contradiction avec son projet, le ferait aisément passer pour une pièce de musée, chose étonnante, cas unique peut-être dans l’économie des parcs Disney qui va davantage au renouvellement qu’à la muséification. Cela est plus vrai encore pour les parcs américains qui, disposant de plus de capitaux, sont plus novateurs. Mais peut-être est-ce ce kitsch même qui fait son intérêt où le goût que les américains en ont. L’on imagine très bien par exemple une famille du fond de l’Indiana venue dans les années quatre-vingt et désireuse de refaire l’attraction qui leur rappelle le temps où l’oncle John vivait encore. Et puis les américains sont plus conservateurs là où le public européens, du moins les français – je ne parle pas ici des fans Disney, puissantes instances réactionnaire – sont plus exigeants. C’est d’ailleurs ce qui fait l’attrait de certains parcs allemands en mutation perpétuelle).
Un des intérêts de cette attraction est d’offrir une perspective contrastive entre le présent et l’avenir tel qu’il était perçu dans les années soixante, mais je ne suis pas sûr que tous les visiteurs puissent l’apprécier avec ce recul. J’ai été pris d’un fou rire lorsque la salle a poursuivi sa rotation au son de :

There’s a great, big, beautiful tomorrow !
Shining at the end of every day,
There’s a great, big, beautiful tomorrow !
And tomorrow is just a dream away.

à la pensée que ce pouvait être une attraction ironique, ridiculisant l’idée même du Progrès, qui en Amérique n’a jamais cessé d’être une valeur centrale, tandis qu’en Europe, par l’exemple des deux guerres mondiales, son idéal a pour le moins subit une sérieuse remise en question.

The second star to the right

La chanson « The second star to the right » entendue au feu d’artifice Wishes me provoque toujours un certain frisson. Pourquoi ? Je crois que c’est parce que cette chanson joue sur la corde raide entre réel et réalité fantasmée sur laquelle d’idée même de Disneyland se situe. Les parcs Disney sont des Pays Imaginaires dont les chemins peuvent cependant être facilement trouvés. 

Twinkle, twinkle little star
So I'll know where you are
Gleaming in the skies above
Lead us to the land I dream of

And when our journey is through
Each time we say "Goodnight"
We'll thank the little star that shines
The second from the right...

« The second star to the right », pour un disneyphile, c’est la sortie du périphérique, direction Chessy.


Post Disneyland

         Dans le bus tardif qui nous ramène à l’hôtel, visiteurs extrêmement déprimés. Le conducteur a éteint les néons et la musique de fond ne marche pas. Le bus avance au pas dans le silence et la masse des voitures. Sur les vitres, un reflet d’un lointain feu d’artifice. Est-ce Epcot de ce côté-là ? L’on renonce à se le demander. Est-ce fatigue ? Certes, les enfants dorment appuyé sur un sein ou un bourrelet parental, mais les adultes. La lassitude, la nostalgie, déjà ?
Peut-être la fatigue du consommateur.

American adventures

America !
Spread your golden wings,
Fly the freedom wind,
Cross the skyyyy !

De tous les pavillons d’Epcot, seul l’américain arrive à vous donner le désir d’émigrer dans le pays qu’il représente. Je suppose que pour les visiteurs locaux, cela doit être très réconfortant.

Colonialisme

Visité l’hôtel Grand Floridian. Sa beauté coloniale. Sa plage de sable fin donnant sur un lac où des panneaux défendent de se baigner. Cela doit grouiller de crocodiles en tous genres. Image très postmoderne depuis cette plage : on aperçoit le château et le Magic Kingdom, leurs promesses de bonheur, mais on en est séparé par cette petite mer sale, polluée et dangereuse, pourtant au pied de l’hôtel le plus luxueux de l’endroit. Du personnel d’entretien nombreux circule dans les couloirs. Ce sont pour la plupart – sauf à la réception – des  noirs portant bas blancs et cravate rose. C’est comme au Disneyland Hotel, en somme, mais à Paris tout cela semble davantage une recréation qu’ici, dans cet état sudiste : on sent plutôt la perpétuation.

Consommer malgré tout

Dans une boutique, un homme est étendu par terre, des CM s’affairent autour de lui. Les paramedics arrivent et ferment l’area.
Quelques minutes plus tôt, des visiteurs asiatiques étendaient le bras pour prendre une peluche dans les rayons au dessus de l’allongé, malgré lui, puis l’enjambèrent sans façon pour gagner la caisse. Quand ils la virent fermées, leur désespoir fut visible.
Jusqu’où la consommation va.

Plans américains

Lorsqu’ils établissent leurs plans des parcs, les Américains comptent les boutiques et les restaurants pour des attractions.
L’on s’étonne qu’ils n’aient pas encore ajouté les toilettes à la liste. Peut-être le feront-ils quelque jour.

Déguisements

Tout le monde est déguisé ici. Les chapeaux connaissent une grande popularité dans les boutiques. C’est à qui aura le plus ridicule. En France, il n’y a guère que le 31 octobre pour voir cela, mais ici c'est toute l'année.

Oreilles de Mickey

Les oreilles de Mickey sont beaucoup plus populaires ici qu’en France où ce produit n’a jamais su s’imposer, malgré des tentatives. Il est vrai que les américains, outre leur sens moins aigu du ridicule, ont été habitué à ce couvre chef, d’abord par le programme télévisé du Mickey Mouse Club. C’était un élément de l’uniforme des mouseketeers, ces jeunesses disneyennes vigoureuses et disciplinées qui avaient même leur hymne. L’on sait que ce symbole a été récupéré dans un désir de subversion par l’art contemporain et les milieux de la mode. C’est que les oreilles de Mickey sont devenues un symbole identitaire, comme la kippa juive. Plus encore que le goût pour une marque, elles en sont venues à signifier une reconnaissance de l’individu dans les valeurs nationales. Le port des oreilles de Mickey échappe au ridicule en ce qu’il est une marque visible de patriotisme (on les décline d’ailleurs aux couleurs de l’american flag). Les porter sont une dignité, comme des emblèmes.

PUSH

         Les parcs Disney sont le seul endroit au monde où l’on puisse espérer de rencontrer une poubelle. Elle a surgit comme nous nous promenions dans Hollywood Studios. Push – c’est son nom – fait des apparitions à heures dites pour le plus grand ravissement des visiteurs, un peu comme Blanche Neige. Parfois elle les poursuit sur une assez longue distance comme si elle voulait les avaler. D’autres fois, elle reste immobile et attend qu’un visiteur lui pousse un déchet – car c’est en plus une vraie poubelle –, elle le remercie alors et engage négligemment la conversation, lui demandant dans quel état il habite et s’il y a beaucoup de poubelles là-bas. Push est une vraie star ici. Il paraît qu’un technicien la suit à bonne distance avec la manette de commande. Je suppose qu’il peut aussi intervenir dans le cas où elle serait agressée.
         Ce que Push révèle, c’est la sacralisation de la propreté dans les parcs Disney. Des cast-members enthousiastes l’arpentent en permanence avec des pinces préhensiles colorées qui sembleraient plus faites pour vous pincer la joue que pour ramasser des ordures. Tout est admirablement propre et net. L’on voit ne voit aucun fumeur à la différence de Paris : les gros américains doivent croire que la cigarette nuirait à leur santé. Mieux : l’on peut acheter dans les boutiques des salières à l’effigie des poubelles des différents lands, car chacune est personnalisée et intégrée dans sa zone. J’ai même vu des ornements pour les sapins de Noël, c’est dire si l’on a ici le culte du déchet aseptisé.

What happens at Disney…

Dans le bus qui nous ramène à l’hôtel, je remarque un groupe de jeunes filles obèses (elles le sont à peu près toutes ici, l’AFP a récemment annoncé à titre de nouvelle légère qu’il avait fallu renforcer les barques de Pirates of the Carribean à cause de la masse corporelle croissante des américains) portant le même T-Shirt vert moulant avec écrit dessus : « What happens at Disney stays at Disney ». C’est sans doute une création personnelle, peut-être dans le genre de ces vêtements personnalisables à bon marché sur lesquels on peut faire imprimer un motif choisi. Du moins il me semble que ce genre de produit ne pourrait pas être vendu dans les boutiques du parc, ou le pourrait-il ? Evidemment, ce qu’il a de terrible, c’est ce que cette phrase connote, par référence à l’expression devenue banale : « What happens at Las Vegas stays at Las Vegas », qui dans ce cas-là suggère un week-end de débauches pré-maritales partagées entre casinos et bars suspects. Le remplacement de « Vegas » par « Disney » ne porte pas le même sens mais partage avec la situation de base un même sentiment de honte et de dissimulation. L’embarrassant  est l’objet de cette honte, quel est-il pour Disney ? Si « what happens at Vegas » est réprouvé d’un point de vue moral, « what happens at Disney » le serait-il d’un point de vue culturel ou intellectuel ?

Ignorant des prétentions que les jeunes filles obèses pouvaient avoir en ce domaine, j’aurais peut-être dû leur demander ce qu’elles entendaient par là, mais le bus les déposa naturellement au All Star Resort.

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